Jeu de contraintes

(Divercité #2)

 

"Avoir pour unique limite son imagination" est une phrase que l'on entend régulièrement et qu'on aurait envie de voir s'appliquer aussi à la création de jeu de société. Les possibilités sont infines. Et pourtant...

 

La création d'un cadre

 

Et pourtant, la contrainte est inévitable. Un jeu de société est naturellement contraint par son matériel et ses règles. Les règles dans les jeux sont des conventions qui font office d'accord tacite entre le ou les auteurs et les joueurs : pendant la durée de la partie, les joueurs s'accordent à suivre, sans tricher (oui oui, on vous voit) les indications et le cadre défini par ses créateurs. Il faut accepter "de jouer le jeu". Il y a donc une confiance qui doit s'installer peu à peu, au fil de la lecture des règles, puis de la ou des parties. D'abord fragile, cette confiance vient se renforcer ou au contraire s'étioler à mesure de l'analyse du jeu par les joueurs.

Il y a une nécessité de créer un cadre compréhensible et rassurant pour les joueurs. Le design joue sur ce point un rôle très important. Dans le même temps il faut se poser une autre question, et ce le plus tôt possible dans le processus.

Qu'est-ce qui rend mon jeu singulier, mémorable, ou captivant ?

Car les réflexions nous emportent au fil des jours et des semaines de création. D'abord l'idée est simple, en tout cas assez pour qu'on puisse se la représenter. Et rapidement les "et si" font leur apparition.

"Et si je rajoutais des personnages en plus, et si ils avaient des pouvoirs, et si il y avait d'autres ressources"...

L'exploration est excitante. Chaque nouvelle idée est un fruit qui a plus de saveur que le précédent. Des couches de complexité s'ajoutent.

 

Le cas de Divercité

 

J'ai construit Divercité exactement comme cela. L'idée de base était fixée mais très rapidement, j'ai eu envie d'avoir des nouvelles pièces, chacune devant être entourée par des tuiles spécifiques pour marquer plus de points.

 

Pièces combinant besoin en ressource spécifique et points doublés pour certaines cités

Une autre idée était d'avoir des ponts au dessus des ressources, pour appairer des cités. On pouvait alors lier 2 de ses propres cités pour qu'elles rapportent le même nombre de points (ceux de la cité qui en avait le moins étaient considérés), ou lier une de ses cités avec celle d'un adversaire pour en récupérer les points.

 

Idée et mise en place des ponts ayant pour but de récupérer la valeur d'une cité, adverse ou non.

 

Ces pièces ont été imprimées en 3D et nous avons pu jouer avec. C'est sûr que ça rajoutait des éléments et ça aurait pu mener quelque part. Mais j'ai pris du recul et me suis posé la question : qu'est-ce que je suis en train de faire... ?

Est-ce que je suis en train de rendre mon jeu plus intéressant ou plus profond ?

Est-ce que ce que l'élément que j'ai rajouté sert la mécanique de mon jeu ?

Est-ce qu'il est indispensable ?

Ou suis-je seulement en train de me faire plaisir ?

Bien sûr il n'y a aucun mal à vouloir se faire plaisir lorsque l'on fait un jeu pour soi. Mais lorsque l'on fait un jeu pour les autres, il est important de se mettre à la place des joueurs. Cela passe par la remise en question permanente de ses idées. Aussi pertinentes puissent-elle paraître.

Ici la réponse était claire, tout ce que je cherchais à rajouter allait passer la mécanique principale qui faisait l'essence du jeu au second plan. Je pensais rajouter des choix mais en réalité je diminuais la rejouabilité. Je ne pouvais pas risquer de rompre l'équilibre initial avec ces éléments qui conditionneraient énormément l'expérience de jeu. On aurait eu l'impression d'avoir plus de choix mais finalement après quelques parties les stratégies auraient été très similaires.

 

Un juste équilibre à trouver

 

A force d'ajout de couches supplémentaires, on peut se rendre compte alors que l'on a créé un patchwork, d'idées parfois décalées, parfois superposées à une mécanique de départ que l'on peine à distinguer. Alors oui on s'est fait plaisir, mais on a perdu les joueurs.

Dans le cas extrème, imaginez vous lire des règles de 20 pages. Lorsque vous avez enfin compris comment jouer vous ne savez pas où aller. A chaque tour les joueurs ont 12 choix possibles, 8 actions à réaliser dans l'ordre qu'ils veulent, peuvent échanger des cartes, lancer des dés et faire le tour de la table les mains dans le dos en buvant des shots.

Bien sûr, Divercité n'est pas un exemple de complexité (dans ses règles en tout cas). De nombreux jeux au contraire trouvent leur intérêt dans ces couches de profondeur successives. C'est un juste équilibre à trouver. Pour moi jusqu'à présent, le plus difficile n'a jamais été de rajouter de nouvelles choses, mais bien d'arriver à faire le tri, de se résoudre à retirer tout le superflu pour ne garder que l'essentiel.

 

Les variantes

 

Il est de plus en plus fréquent de voir un certain nombre de variantes rajoutées aux règles d'un jeu de société. Comme elles font bonne figure ! Parfois elles ne sont là que pour augmenter la rejouabilité, renouveller les expériences. Parfois c'est à se demander si elles sont là car elles n'ont pas eu assez d'intérêt aux yeux de l'auteur pour figurer dans la règle de base. Peut-être ne plairont-elle pas au plus grand nombre. Je ne sais pas toujours quoi en penser. Je vois les variantes comme des sauces qu'on vous apporte avec votre plat, sans personne pour vous dire si il sera meilleur avec ou sans. L'auteur ne se mouille pas. A quelle moment faut-il les rajouter ? Le jeu sera-t-il toujours aussi équilibré ?

Paradoxalement, je trouve que rajouter des éléments non indispensables peut être très intéressant cette l'idée de prolongement de l'expérience ludique. De la même manière qu'en marketing, les concepts créatifs dans le jeu sont souvent pensés pour pouvoir être déclinés. On veut se réserver l'opportunité de faire une deuxième version, qui sait ce que l'avenir nous réserve...

 

Le syndrome Kickstarter

 

Les jeux de sociétés financés par campagne de financement participatif aiment surfer sur le déblocage de contenus à mesure que des paliers de financement sont franchis. De la même manière encore je me questionne. Tous ces éléments supplémentaires (qui parfois doublent ou triplent les contenus de base) se doivent d'être vraiment dissociables de l'expérience "classique" pour qu'ils ne perturbent pas l'équilibre initialement mis en place par l'auteur. Mais alors quelle la meilleure expérience pour les joueurs ? Si un jour je me lance dans cette aventure j'en apprendrais d'avantage !

 
     

 

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